Un prequel pour vous donner envie de lire le Chant de l'encre ?
En guise de cadeau, voici un court prequel au Chant de l'encre. J'espère qu'il vous donnera envie de lire le roman !
Si ça vous plait, j'en mettrai un autre.
:)
Devant les nouvelles recrues,
Paul Vimont caressa sa barbe de père-noël et s’éclaircit la voix. Il avait fait
le voyage jusqu’à Shangaï pour la phase finale de l’intronisation de cette
promotion de nouveaux Traqueurs. La haute tour, située dans le quartier de
Lujiazui, offrait une vue imprenable sur le bund et les plus hauts immeubles de
la ville grâce aux baies vitrées circulaires qui faisaient office de mur. Le
conseil possédait le cinquante-huitième étage en totalité, et Paul détestait
s’y rendre. Trop de monde, de bruit, d’agitation dans cette mégapole. Mais
introduire les nouveaux gardiens dans leur Ordre était de son ressort, et il ne
pouvait s’y soustraire.
Il
fallait juste qu’il évite de s’approcher des vitres et de regarder en bas.
Ils
étaient vingt-et-un, figés devant lui, mains croisées dans le dos, jambes écartées,
menton relevé. Leur entraînement les transformait en parfaits petits soldats,
efficaces et meurtriers. Neuf hommes, douze femmes, venus des quatre coins du
globe pour cette cérémonie. Des grands, des petits, les cheveux longs ou rasés,
la peau pâle, brune ou noire, des tatouages gravés dans leur chair,
certainement encore douloureux, à peine six mois après l’encrage – malgré les quarante
années qui s’étaient écoulées depuis son propre tatouage, Paul ne put retenir
un frisson au souvenir de la douleur atroce. Personne ne l’endurait sans
hurler.
Les
vingt-et-un futurs gardiens étaient unis par un même but : protéger la
population contre les hordes de Voraces qui la menaçaient dans l’ombre. La
cérémonie, qui venait clore la période d’entraînement, avait toujours quelque
chose de très émouvant, et il adorait la présider. Même s’il préférait
lorsqu’elle se déroulait au cœur des forêts russes ou dans la cordillère des Andes,
n’importe où du moment qu’il sentait l’énergie de la terre palpiter sous ses pieds.
Paul
les dévisagea un par un, se racla une nouvelle fois la gorge, et déçu par
l’absence de réactions des recrues, il commença :
— La nuit se regroupe, et voici que débute ma garde. Jusqu'à ma mort, je
la monterai. Je ne prendrai femme, ne tiendrai terres, n'engendrerai. Je ne
porterai de couronne, n'acquerrai de gloire. Je vivrai et mourrai à mon poste.
Je suis l'épée dans les ténèbres. Je suis le veilleur au rempart[1]…
Puis
brusquement, il s’interrompit en remontant ses lunettes rondes sur le bout de
son nez :
— Oh ! Veuillez me pardonner,
gloussa-t-il, je me suis trompé !
Il
s’attendait au moins à quelques rires discrets, mais le même silence lourd
régnait dans la salle. Comme personne n’émettait le moindre commentaire, il les
scruta plus attentivement. Bon sang, c’était bien des futurs Traqueurs !
Aucun sens de l’humour ! Lamentable. Il secoua la tête, forçant un sourire
malicieux sur son visage :
— Allons, ne me dites pas que
personne ne regarde le Trône de fer ?
Zéro lueur de perspicacité dans les yeux des recrues.
— Sérieusement ?
Alors
là, c’était vraiment dingue ! Où les avait-on recrutés, ceux-là ?
— Je ne connaîtrai pas la peur, car la peur tue l’esprit. La peur est la
petite mort qui conduit à l’oblitération totale. J’affronterai ma peur. Je lui
permettrai de passer[2]…
Non plus ?
Il
observa les mines sérieuses des jeunes gens en face de lui. Désenchanté. Il tenta une dernière fois :
— Un grand pouvoir implique de grandes responsabilités ?[3] Gardiens,
je suis votre père ! I’ll be back ?
Le
néant.
Totalement
dépité, il soupira en secouant la tête. Qu’il était loin le temps où l’on
recrutait les Traqueurs aussi sur leur culture et leur vivacité d’esprit…
Enfin… Ceux-ci formeraient sans doute un groupe plus obéissant que les
précédents : certains gardiens s’avéraient compliqués à contrôler. Or l’Ordre
devait agir comme un seul homme, la survie de l’humanité était à ce prix. Au
moins, il y avait fort à parier que ceux-ci ne se rebelleraient pas...
Vimont
se redressa, et d’une voix claire, il commença à réciter le serment des
gardiens. Les voix des recrues se joignirent à lui dans un chœur rythmé, et
bientôt, Paul fut submergé par l’émotion. Sa gorge se serra. Bon sang, c’était
beau, quand même !
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